12 novembre 2024
De nombreux Canadiens utilisent les fiducies familiales2 entre vifs1 pour détenir des actifs tels que des actions de sociétés privées, des investissements et des biens fonciers à des fins de planification familiale et successorale, ainsi que pour accéder à certaines occasions de planification fiscale. Ces fiducies sont généralement créées par un constituant de son vivant (y compris un tiers constituant) au profit de bénéficiaires ou de catégories de bénéficiaires.
Alors que ces fiducies peuvent parfois prévoir des droits fixes dans certaines circonstances, les fiducies familiales sont généralement de nature discrétionnaire, permettant au(x) fiduciaire(s) d’exercer un pouvoir discrétionnaire (ou de ne pas le faire) en fonction des bénéficiaires et des objectifs de la fiducie. Dans certains cas, une fiducie familiale est utilisée pour transférer certains actifs en dehors d’une succession (et éviter les frais d’homologation dans la plupart des provinces). Dans ces cas, les fiducies familiales peuvent également être structurées de manière à déclencher des droits ou à distribuer des actifs au décès d’un bénéficiaire d’une manière qui soit conforme aux souhaits testamentaires de ce dernier.
De récentes lois fiscales fédérales ont été introduites lesquelles, collectivement, peuvent avoir un effet dissuasif sur la planification des fiducies et empêcher que ces structures soient considérées comme prudentes pour autant de Canadiens qu’elles l’ont été par le passé. Trois changements à noter sont examinés ci-dessous :
L’IMR est un calcul d’impôt parallèle qui s’applique lorsque l’application d’autres sections de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») ne produit que peu ou pas d’impôt. L’IMR applique un taux d’imposition forfaitaire minimum après un montant exempté et permet un accès limité à divers crédits et déductions3.
Si le calcul parallèle de l’IMR pour une année d’imposition dépasse l’impôt sur le revenu autrement payable en vertu des règles ordinaires de la LIR, une personne physique ou certaines fiducies (y compris la plupart des fiducies familiales examinées dans le présent article) seraient tenues de payer la différence en tant qu’impôt supplémentaire pour l’année. Le montant de l’IMR supplémentaire payé au cours d’une année en vertu de ces règles peut généralement être déduit de l’impôt à payer au cours des sept années d’imposition suivantes, dans la mesure où l’impôt payable par ailleurs au cours de ces années dépasse l’IMR applicable au cours de ces années. L’IMR devient permanent s’il n’est pas récupéré au cours de cette période.
Le budget de 2023 a augmenté le taux de l’IMR de 15,0 % à 20,5 %, augmenté l’exonération pour les particuliers de 40 000 $ à 173 000 $ et modifié la définition de « revenu imposable ajusté » pour limiter davantage les « préférences fiscales », comme les déductions, les crédits et les exemptions. Le budget de 2024 a fourni des guides législatifs et des mesures de redressement supplémentaires.
Les fiducies assujetties à l’IMR calculent généralement l’IMR de la même manière que les particuliers; toutefois, les fiducies ne bénéficieront pas d’un montant exonéré, ce qui signifie que les fiducies ayant un revenu imposable seraient généralement plus exposées à l’IMR par rapport aux particuliers.
Pour la fiducie familiale moyenne, cela peut être particulièrement préoccupant, car seulement 50 % des dépenses d’intérêt peuvent être déduites (ce qui peut avoir un impact sur les accords de prêts à taux prescrits) et 80 % des crédits pour don peuvent être utilisés à des fins de calcul de l’IMR. Afin de disposer de liquidités pour payer l’IMR, cela peut signifier que davantage de revenus sont imposés dans la fiducie au taux marginal le plus élevé, car contrairement aux personnes physiques, la plupart des fiducies ne sont pas imposées à des taux progressifs en fonction du revenu. Ainsi, moins de revenus sont distribués dans la fiducie à ses bénéficiaires.
À compter de l’année d’imposition 2023, après plusieurs années de réflexion, la plupart des fiducies et des accords de fiducie dont l’année d’imposition se termine après le 30 décembre 2023 sont tenus de remplir un calendrier de déclaration (annexe 15).
Ces règles visent à obtenir les renseignements suivants sur le ou les constituants, les fiduciaires, les bénéficiaires et les personnes qui peuvent « exercer une influence » sur la fiducie (par le biais de l’acte de fiducie ou d’un « accord connexe ») :
Les fiducies non conformes peuvent être assujetties à des sanctions si elles fournissent des annexes incomplètes, des informations inexactes ou si elles ne produisent pas le formulaire prescrit ou la déclaration de la fiducie. Dans certains cas (sciemment ou dans des circonstances équivalant à une négligence grave), ces pénalités peuvent atteindre 5 % de la JVM la plus élevée des actifs de la fiducie au cours de l’année, en vertu du paragraphe 163(6) de la LIR.
Les fiducies familiales sont généralement soumises à ces règles, à moins que la fiducie ne réponde à l’une des exceptions limitées prévues au paragraphe 150(1.2) de la LIR. Même en cas d’incertitude, il peut être plus prudent de remplir une déclaration de fiducie accompagnée d’une annexe de déclaration que d’ignorer la question, car le défaut de déclaration est passible d’une pénalité très importante qui, si elle était imposée, dépasserait très probablement tout avantage éventuel. Il est à noter que ces pénalités peuvent être imposées à la fois aux fiduciaires et aux préparateurs de déclarations de revenus.
La collecte d’informations peut être entravée lorsque les bénéficiaires sont inconnus, difficiles à déterminer (par exemple lorsqu’une catégorie de bénéficiaires est définie de manière large ou vague) ou lorsqu’ils ne coopèrent pas.
Pour la fiducie familiale moyenne, cela signifie une augmentation des coûts annuels de conformité, des risques accrus pour les fiduciaires et les spécialistes de la préparation des déclarations fiscales, et une diminution de la confidentialité, car les fiduciaires devront divulguer le droit de bénéficiaire aux bénéficiaires, même à ceux auxquels ils n’ont pas l’intention de faire un don, afin de tenter de bonne foi d’obtenir toutes les informations nécessaires requises par la LIR pour satisfaire aux nouvelles règles en matière de déclaration.
Le budget de 2024 propose d’augmenter le taux d’inclusion des gains en capital de la moitié (50,0 %) aux deux tiers (66,7 %) pour les sociétés et la plupart des fiducies, et la partie des gains en capital réalisés au cours de l’année qui dépasse 250 000 $ pour les particuliers, les successions assujetties à l’imposition à taux progressifs (SAIP) et les fiducies admissibles pour personne handicapée (FAPH). Cette mesure est censée s’appliquer aux gains en capital réalisés à partir du 25 juin 2024.
Pour la fiducie familiale moyenne, cela signifie que non seulement tous les revenus conservés dans la fiducie sont imposés au taux marginal le plus élevé, mais que tous les gains en capital réalisés par la fiducie sont également imposés au taux d’inclusion des gains en capital le plus élevé. Cela correspond à une augmentation d’environ 10 % du taux d’imposition et à une augmentation relative d’environ 30 % de l’imposition des gains en capital, en fonction de la province ou du territoire. Par exemple, le taux d’imposition des gains en capital de l’Alberta est passé de 24 % à 32 %, ce qui représente une augmentation d’environ 33,3 %.
Une exception notable est la possibilité pour le bien en fiducie de remplir les conditions requises pour être transféré hors de la fiducie avec report d’impôt à un bénéficiaire résident canadien4 qui réalise ensuite le gain en capital. En fonction du bien, des termes de l’acte de fiducie et du statut des bénéficiaires, cela n’est pas toujours possible.
De nombreux Canadiens établissent des fiducies pour leur famille à des fins de confidentialité et pour permettre aux fiduciaires de faire des dons aux bénéficiaires à leur seule et entière discrétion, conformément aux objectifs de la fiducie (et de la famille).
Avec les nouvelles règles de déclaration, les fiduciaires doivent divulguer, de bonne foi, tous les bénéficiaires, fiduciaires et constituants connus possibles (y compris les contributeurs ultérieurs), ainsi que les personnes qui peuvent exercer une influence sur une fiducie. Il s’agit notamment de contacter des bénéficiaires qui pourraient ne jamais recevoir de prestations d’une fiducie familiale (et pourraient ne pas savoir qu’ils sont bénéficiaires), des personnes qui se sont éloignées ou des personnes qui ne sont nommées que dans des cas lointains et contingents, tels que le décès de tous les bénéficiaires « principaux ».
Cela crée non seulement une charge administrative importante et coûteuse pour retrouver les parties, et des tensions potentielles lorsqu’il s’agit de personnes éloignées, mais aussi la nécessité de faire face au refus des parties de se conformer à la loi. En effet, au Canada, il n’est pas nécessaire de consentir à être désigné comme bénéficiaire d’une fiducie; ce consentement est généralement demandé lorsqu’un don est proposé.
Ensuite, une incertitude importante demeure quant à la détermination de ce qui peut constituer la capacité d’« exercer une influence », ainsi que de ce qui peut être considéré comme un « accord connexe5 ». Tout cela ajoute de nouveaux coûts en matière de conformité et, de concert avec l’augmentation des impôts, peut faire basculer l’analyse coût/bénéfice de la fiducie en défaveur de certaines familles par rapport aux résultats et aux attentes qu’elles escomptaient.
Par la suite, s’il reste possible pour les fiducies familiales d’attribuer des revenus (et du capital) à des bénéficiaires résidant au Canada afin de bénéficier des taux d’imposition progressifs et des taux d’inclusion des gains en capital6, cela peut accroître la vulnérabilité des actifs de la fiducie face à un créancier familial en cas de dissolution du mariage ou de l’union de fait.
Dans le contexte du droit de la famille, les tribunaux ont estimé que l’évaluation de l’intérêt d’un bénéficiaire éventuel devait tenir compte du mode d’utilisation historique de la fiducie7. Les tribunaux ont également noté que les intérêts conditionnels qui « ont un certain degré de concrétisation ou de solidité, ou un certain degré d’assurance qu’une partie obtiendra ou profitera effectivement de ces intérêts, sont des intérêts qui sont plus susceptibles d’être valorisés »8. D’autres considérations pertinentes incluent généralement la source des biens de la fiducie, les intentions du constituant, les responsabilités fiduciaires du ou des fiduciaires et les intérêts concurrents des autres bénéficiaires9.
Autrement dit, en cas de distribution prévisible et constante de revenus à un bénéficiaire, par exemple une distribution annuelle importante destinée à réduire l’impôt dû sur les revenus générés par la fiducie, la valeur de ces revenus et la valeur d’un revenu et d’un droit au capital continus peuvent éventuellement être considérées comme défavorables au bénéficiaire lors de la valorisation des biens au moment de la séparation des parties. Cela est particulièrement vrai en l’absence d’accord prénuptial ou d’accord de cohabitation excluant explicitement les droits de fiducie.
Étant donné que de nombreuses familles créent des fiducies afin de protéger les actifs des membres de la famille bénéficiaires, il devient de plus en plus prudent d’analyser la situation familiale et l’impact des distributions avec des conseillers de confiance.
Bien que les fiducies familiales semblent bénéficier de moins d’avantages fiscaux que par le passé, il existe un avantage significatif lorsque les fiducies familiales détiennent des actions de sociétés privées : la possibilité de « multiplier » l’exonération cumulative des gains en capital (« ECGC ») sur les actions admissibles de petite entreprise (« AAPE ») sans avoir à payer l’impôt sur le revenu ordinaire sur le gain en capital qui en résulte, jusqu’à concurrence du montant de l’exonération cumulative. Au 25 juin 2024, ce montant d’exemption était de 1 250 000 $, ce qui représente une augmentation importante par rapport au montant de 1 016 836 $ avant le budget de 2024.
Bien qu’une fiducie familiale ne puisse pas elle-même demander l’ECGC, lorsqu’il y a plusieurs bénéficiaires et que les critères peuvent être respectés10, la fiducie peut attribuer une partie d’un gain en capital réalisé par la fiducie lors de la disposition des AAPE à plusieurs bénéficiaires de manière à maximiser l’utilisation de l’ECGC disponible de chaque bénéficiaire, à condition que cela soit permis dans l’acte de fiducie et que les désignations requises soient effectuées par la fiducie familiale en vertu de la LIR. Il en résulte généralement une réduction globale significative de l’impôt sur la vente des AAPE par rapport à une personne physique réalisant seule la cession (sous réserve, entre autres, de l’IMR actualisé).
Même si la vente d’actions n’est pas imminente, les économies potentielles à long terme pour une famille sur la cession éventuelle des AAPE qui devraient prendre de la valeur peuvent être importantes et dépasser de loin l’augmentation des coûts et des impôts payés dans l’intervalle.
En ce qui concerne les fiducies qui éprouvent des difficultés à s’adapter aux changements législatifs décrits ci-dessus en raison de termes mal définis ou de descriptions vagues des bénéficiaires, il peut être possible de modifier ou de changer les termes et les définitions. Cela peut inclure, dans certains cas, la clarification de qui est ou n’est pas un bénéficiaire, conformément à l’intention initiale de la fiducie. Toutes les fiducies ne peuvent pas être facilement modifiées, même avec l’aide du tribunal, et cette démarche ne doit être entreprise qu’avec l’avis et les conseils d’un avocat expérimenté en matière de fiducie. Des modifications significatives des termes d’une fiducie peuvent entraîner une réintégration présumée de la fiducie, avec des ramifications fiscales qui dépassent le cadre de cet article.
Par ailleurs, il existe de nombreuses raisons non fiscales de créer une fiducie familiale et de conserver une fiducie familiale existante. Il s’agit notamment de la protection et de la sauvegarde des fonds pour les bénéficiaires mineurs, handicapés et dépensiers, de la possibilité d’utiliser la fiducie familiale comme actionnaire avec droit de vote pour les sociétés liées et de la souplesse générale de planification pour les membres de la famille. Pour de nombreuses familles canadiennes, ces avantages continuent d’avoir une valeur qui peut dépasser les coûts de mise en conformité et les impôts supplémentaires découlant de la récente législation.
Bien que la question de la valorisation des intérêts de la fiducie puisse se poser dans certains cas, comme nous l’avons vu plus haut, les fiducies familiales restent des outils efficaces de protection des actifs lorsqu’elles sont correctement mises en place. Même dans le cas de créanciers conjoints ou familiaux, les intérêts de la fiducie peuvent être exclus dans de nombreux cas lorsque des accords prénuptiaux ou de cohabitation correctement exécutés sont en place11 et qu’il n’existe pas d’autres circonstances atténuantes justifiant un redressement judiciaire.
Bien que les changements législatifs mentionnés ci-dessus semblent représenter une érosion continue du traitement fiscal positif des fiducies, les fiducies familiales restent des instruments de planification valables et efficaces. Bien que ces modifications puissent être lourdes et coûteuses dans de nombreux cas, elles ne constituent pas à elles seules un facteur décisif pour la constitution ou le maintien d’une fiducie existante.
Il est important de se rappeler que les modifications de la législation sur les successions, les fiducies et la fiscalité continueront à se produire fréquemment. Il convient donc d’adopter une approche équilibrée et modérée, avec l’aide de professionnels qualifiés, non seulement lors des phases de planification et de mise en œuvre, mais aussi lors de la phase d’administration continue.
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Matt est un fiscaliste et un avocat en planification successorale appelé au barreau de l’Alberta en 2013. Il se spécialise dans la planification fiscale et successorale post-mortem, ainsi que dans la planification fiscale pour les fiducies et les entreprises gérées par les propriétaires. Matt est membre de la Society of Trust and Estate Practitioners (STEP), détenant le titre de TEP, a terminé les niveaux 1 à 3 du programme fiscal approfondi de CPA Canada et est membre de la Fondation canadienne de fiscalité (FCF). Avant de se joindre à CI, Matt a travaillé dans les groupes fiscaux et successoraux dans des cabinets d’avocats régionaux et nationaux, ainsi que dans un cabinet-boutique de conseil fiscal. Matt a également acquis une expérience juridique interne dans l’une des plus grandes sociétés de fiducie du Canada, où il a fourni des conseils juridiques internes et des conseils en matière de planification successorale et fiduciaire aux clients, aux conseillers et aux dirigeants de la fiducie.
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