17 avril 2023
Nous entamons le deuxième trimestre dans le sillage d’une (jusqu’à présent) mini-crise bancaire mondiale suite à l’effondrement de la Silicon Valley Bank (SVB) et de la Signature Bank aux États-Unis et de Crédit Suisse en Europe. Les décideurs politiques ont réagi de manière agressive pour résoudre les cas individuels et fournir des appuis par le biais de garanties de dépôts renforcées et de provisions de liquidités significatives pour tenter d’empêcher une nouvelle contagion. Au moins quelques leçons ont été tirées de la grande crise financière et de la crise de l’euro de la décennie précédente.
Les questions clés sont les suivantes :
1. Les mesures mises en œuvre par les décideurs politiques seront-elles suffisantes?
2. Qu’est-ce qui a changé et quelles sont les implications pour les économies et les marchés à l’avenir?
Les mesures prises pour endiguer la contagion seront-elles suffisantes pour stabiliser la situation et permettre aux marchés de se calmer dans les semaines à venir, ou risquons-nous d’assister à une nouvelle contagion et à une nouvelle crise sur les marchés? La seule réponse honnête est qu’il est tout simplement trop tôt pour le savoir. À l’heure actuelle, l’incertitude et la fragilité restent les facteurs dominants qui sous-tendent les perspectives économiques ou de marché; mais il y a beaucoup de choses que nous pouvons observer à la fois actuellement et à l’avenir.
La faillite de SVB semble être un cas singulier d’incompétence extrême du gestionnaire combinée à une grave erreur de gestion du bilan. C’est ce qui a rendu la banque vulnérable à une ruée sur les dépôts plutôt qu’à un problème d’insolvabilité ou de crédit a priori. Si l’environnement de hausse des taux a clairement joué un rôle dans l’issue de la crise, la cause première en a été la mauvaise gestion du bilan de la banque, plutôt que des facteurs systémiques de grande ampleur, comme ce fut le cas en 2008.
Toutes les banques sont vulnérables aux retraits massifs, car elles ne conservent qu’une partie de leurs dépôts et prêtent le reste à plus long terme. C’est pourquoi nous avons des banques centrales, qui agissent en tant que prêteurs en dernier ressort pour fournir des liquidités aux banques et donner aux déposants l’assurance que leur argent est en sécurité. En l’absence d’un tel soutien, l’histoire indique que les craintes de faillites bancaires se réalisent d’elles-mêmes. C’est pourquoi nous avons assisté à une réaction politique aussi rapide et agressive pour mettre en place des garanties de dépôt étendues et des dispositions en matière de liquidités.
Dans le même ordre d’idées, Crédit Suisse a fait l’objet d’une restructuration importante, essayant de retrouver des niveaux de rentabilité suffisants après des années de scandales et de mauvais rendements. Cette situation a exposé la banque aux turbulences des marchés des capitaux mondiaux. Il s’agit véritablement d’un maillon faible connu parmi les plus grandes banques mondiales, mais c’est tout de même un choc.
Pour l’instant, nous, et les décideurs politiques, restons très attentifs aux signes d’une nouvelle contagion par rapport aux signes d’une stabilité accrue. La situation reste fragile et il est trop tôt pour envisager d’agiter le drapeau de la fin de crise. Jusqu’à présent, les marchés se sont raisonnablement bien comportés, avec des signes limités de risque de contagion sur les marchés d’actifs. Alors que la volatilité des taux d’intérêt, mesurée par l’indice MOVE, a atteint des niveaux inégalés depuis 2008, la volatilité du marché des actions, VIX, n’a augmenté que modestement et s’est rapidement atténuée. Bien que l’indice MOVE ait diminué par rapport aux sommets atteints, il reste élevé d’un point de vue historique. Il faudrait au moins qu’il revienne dans une fourchette plus normale sans infliger de nouveaux dommages collatéraux systémiques.
Les marchés du crédit sont restés raisonnablement calmes, avec un élargissement des écarts dans le secteur des services financiers, mais avec un impact limité sur les autres secteurs. Là encore, c’est le signe que les marchés prennent en compte l’augmentation du risque idiosyncratique dans le secteur des services financiers, mais ne voient pas de contamination dans d’autres secteurs de l’économie. Si les marchés du crédit se sont initialement fermés aux nouvelles émissions, cela s’est également avérée transitoire, avec la réouverture de l’accès aux titres de qualité supérieure et l’accès sélectif aux marchés pour les titres à rendement élevé de meilleure qualité. Encore une fois, les signes des marchés du crédit vont dans la bonne direction, mais l’accès au crédit restera un élément clé pour détecter les signes d’apaisement ou d’intensification des tensions.
Entre la veille de l’effondrement de la SVB et la fin du mois de mars, trois semaines plus tard, l’indice S&P 500 est passé de 4 000 à 4 100, l’obligation du Trésor américain à 10 ans est passée de 4 % à 3,5 % et l’obligation du Trésor américain à 2 ans de 5 % à 4 %. De toute évidence, il n’y a pas de signes généralisés de panique, les actions étant en hausse, tandis que la baisse des taux reflète les attentes d’une fin plus précoce du cycle de resserrement de la politique monétaire de la Fed.
Ce qui a changé, c’est un net resserrement des conditions financières par le biais des canaux de crédit bancaire. Les banques seront moins disposées à accorder des prêts à leurs clients. Les sondages menés auprès des agents de crédit indiquaient déjà un resserrement des normes de prêt avant la faillite des banques. Cette tendance s’accélérera en raison des inquiétudes accrues concernant les perspectives de crédit, tandis que la baisse significative des dépôts dans les banques régionales limitera encore davantage leur capacité à accorder le même niveau de prêts. Le resserrement du canal du crédit bancaire au cours des prochains trimestres entraînera un ralentissement de l’activité économique, toutes choses égales par ailleurs. Le grand défi est que nous n’avons aucune idée, à ce stade, de l’ampleur de ce ralentissement.
Depuis un an, la Fed relève les taux d’intérêt afin de resserrer les conditions financières, de ralentir la surchauffe de l’économie et de ramener l’inflation à son niveau cible. À présent, avec le resserrement attendu des conditions financières par le biais du canal du crédit bancaire, les marchés du crédit feront le travail à la place de la Fed. Il convient de noter que cette dynamique n’a rien d’inhabituel, car on s’attend normalement à ce que le crédit bancaire se resserre lorsque la Fed procède à un resserrement.
La véritable surprise a été la résistance de l’économie malgré le resserrement des conditions financières. Malgré ce qui semble être une certaine résurgence de l’économie à l’aube de 2023, nous nous attendons toujours à un ralentissement significatif et à une légère récession cette année. Le ralentissement de l’activité manufacturière, l’accélération des suppressions d’emplois et la faiblesse des ventes de logements sont autant d’éléments qui témoignent d’un ralentissement de l’économie. En revanche, les chiffres solides de l’emploi et la croissance toujours forte des salaires témoignent d’une bonne résistance de l’économie. La situation est pour le moins ambiguë.
Il semble que le ralentissement attendu dans les secteurs cycliques et sensibles aux taux d’intérêt de l’économie soit partiellement compensé par une demande de réouverture encore comprimée dans les secteurs des services et de la consommation qui ont été plus lents à redémarrer l’année dernière. Cette situation, associée au désendettement généralisé des ménages au cours des dernières années et aux gains salariaux importants enregistrés récemment, a entraîné un ralentissement beaucoup plus faible que ce que de nombreuses personnes avaient prévu.
On peut considérer que la santé relative du secteur des ménages a permis d’atténuer l’impact de la récession manufacturière/cyclique en cours. Il s’agit davantage d’une récession désynchronisée qui touche différents segments de l’économie à des moments différents, de sorte que l’effet global net ressemble à un atterrissage en douceur ou à une récession légère étalée dans le temps, plutôt qu’un ralentissement brutal comme c’est le cas lorsque tous les secteurs ralentissent en même temps.
L’avenir nous dira si nous sommes en plein milieu d’une telle récession étalée dans le temps ou si un ralentissement plus sévère se profile à l’horizon. Pour l’instant, la surprise vient du fait que la récession tarde à s’indiquer, alors que certains l’annoncent depuis l’été dernier. Quoi qu’il en soit, tout resserrement significatif du crédit bancaire aura pour effet d’avancer le calendrier d’une récession attendue. Étant donné l’absence de déséquilibres économiques significatifs, mon scénario de base reste celui d’une récession légère en réponse au resserrement des conditions financières. En outre, dans la mesure où l’inflation continue de baisser, parallèlement au ralentissement de l’économie et à l’assouplissement en cours du côté de l’offre, le délai dans lequel la Fed commencera à réduire les taux d’intérêt sera également avancé.
Du point de vue du marché des actions, c’est le compromis entre la baisse attendue des bénéfices due au ralentissement et la diminution du taux d’actualisation attendu reflété dans la baisse des taux d’intérêt qui, qui sera déterminant. Alors que les bénéfices seront fonction de l’activité économique, les perspectives des taux d’intérêt dépendront de la fonction de réaction de la politique de la Fed, qui sera principalement déterminée par les perspectives d’inflation.
Plus le crédit se resserre par le biais des canaux privés, moins la Fed doit intervenir par le biais des fonds fédéraux. Le grand défi pour la Fed est de comprendre quel impact sévère, ou non, un tel choc de crédit aura en fin de compte sur l’économie et l’inflation. Une chose est certaine. L’incertitude accrue découlant des faillites bancaires a amené la Fed et la Banque centrale européenne (BCE) à s’éloigner de leur position belliciste antérieure et à adopter une attitude consistant à attendre et à évaluer l’impact avant de s’engager dans de nouvelles hausses de taux. La Fed et la BCE, tout en procédant aux augmentations prévues lors de leurs réunions de mars, ont en fait suspendu toute indication sur de nouvelles augmentations en faveur d’une position consistant à attendre ce qu’indiqueront les données. Les deux banques centrales insistent sur le fait que l’inflation reste l’ennemi public numéro un et qu’elles disposent des outils nécessaires pour résoudre les problèmes d’instabilité financière sans compromettre l’attention qu’elles portent à l’inflation.
Étant donné que la Fed a déjà augmenté le taux des fonds fédéraux à 4,75 à 5 %, après avoir commencé avec des taux à zéro il y a un an, il est clair que nous sommes à la fin du cycle de hausse ou que nous nous approchons de celui-ci (la BCE a pris du retard et pourrait donc avoir encore un peu de chemin à parcourir). En fait, la Fed a terminé sa tâche.
Maintenant que les taux d’intérêt se situent dans la zone « modérément restrictive » de la Fed, qu’elle jugeait nécessaire pour ramener l’inflation vers l’objectif fixé, l’obstacle à franchir pour que la Fed fasse une pause et observe l’évolution de la situation est assez faible. Contrairement à l’année dernière, elle a maintenant le luxe de disposer de temps pour évaluer si de nouvelles hausses sont nécessaires ou si le maintien des taux aux niveaux restrictifs actuels est suffisant. Compte tenu de l’incertitude élevée concernant les retombées de la crise bancaire, je pense que la Fed fera/devrait faire une pause en mai dans une perspective de gestion des risques. Même si elle décide d’une nouvelle hausse de 25 points de base (pb), nous approchons clairement de la fin des hausses de taux de la Fed. Cela s’est traduit par une baisse significative des taux d’intérêt sur l’ensemble de la courbe au cours des dernières semaines.
Là où je ne suis pas d’accord avec la tarification actuelle du marché, c’est dans l’attente d’une baisse des taux d’intérêt de la part de la Fed au cours de l’été. Aucune chance! À moins qu’un événement vraiment grave et inattendu ne se produise.
La Fed a clairement indiqué que l’inflation était son principal ennemi public. Bien que l’inflation soit en baisse, elle reste trop élevée pour que l’on s’y sente à l’aise. Principale leçon des années 1970 : ne pas réduire les taux prématurément. La conséquence pour la politique à venir est que l’inflation devra se rapprocher définitivement de l’objectif, et non pas simplement tendre vers celui-ci. La Fed n’assouplira pas sa politique de manière préventive et aura besoin des données (même si elles sont traînes) pour signaler que la menace inflationniste a été éliminée.
Je pense que cela impliquera de maintenir les taux à un niveau plus élevé que ce que beaucoup attendent actuellement, mais cela nous ramène également à la question clé à surveiller. Malgré toute la volatilité et le reste du brouhaha sur les marchés et dans les économies, l’inflation reste la seule préoccupation. Presque rien d’autre ne compte. Même si nous nous attendons à ce que l’inflation continue de baisser et surprenne à la baisse par rapport au consensus, la Fed ne réduira pas ses taux d’intérêt tant que cela ne se produira pas. Je pense que nous atteindrons ce point avant la fin de l’année, mais que les prévisions actuelles de baisses cet été sont trop optimistes, et qu’il faudra attendre la fin de l’année si les données sur l’inflation soient favorables.
Le fait d’attendre la Fed implique une mise en garde : les marchés bougeront par anticipation. Cela signifie que toute réduction sera largement escomptée au moment où elle interviendra. Pour l’instant, il semble qu’il soit trop tôt. En ce qui concerne les marchés d’actifs, je m’attends encore à un trimestre ou deux de fluctuations latérales, comme c’est le cas depuis le mois de mai dernier.
Les marchés boursiers et obligataires ont chuté (les taux ont augmenté) au cours du premier semestre 2022 et ont tous deux atteint leur niveau le plus bas en octobre dernier. Depuis, les marchés se sont maintenus dans une fourchette. Je m’attends à ce que les creux d’octobre pour les marchés obligataires et des actions s’avèrent être les creux de ce cycle, mais j’estime qu’il est trop tôt pour sortir des fourchettes actuelles (environ 3800 à 4200 pour l’indice S&P 500, 3,5 %+/- 25 pb pour l’obligation du Trésor américain à 10 ans).
Les marchés ont digéré les hausses de taux et tentent à présent de concilier le compromis entre la réduction des bénéfices en cas de récession et le temps et le rythme des baisses de taux potentielles. Cette bataille est en cours depuis quelques trimestres, et les résultats du premier trimestre à venir ouvriront la voie à la prochaine escarmouche. N’oubliez pas que l’inflation reste l’arbitre et que les batailles se poursuivront jusqu’à son chant du cygne.
Enfin, une alerte au divulgâcheur pour le trimestre à venir. L’affrontement sur le plafond de la dette américaine promet d’être un combat politique et nécessitera probablement une forte agitation sur les marchés avant que les deux partis ne s’accordent sur un compromis. Les manigances devraient commencer au mois de juin et s’éterniser jusqu’à la fin de l’été avant qu’une solution ne soit trouvée. Bien qu’il soit peu probable que cela cause des dommages économiques majeurs, il devrait y avoir beaucoup d’angoisse, de feux d’artifice et de grincements de dents qui provoqueront une forte volatilité des marchés à ce moment-là.
Drummond Brodeur travaille dans le secteur des investissements depuis 1989 et a rejoint Gestion mondiale d’actifs CI en 2007. Il possède une solide expérience axée sur la Chine et le bassin Pacifique. Avant de rejoindre CI, M. Drummond a notamment supervisé des portefeuilles internationaux chez KBSH Capital Management, été analyste principal chez Caisse de Depot et gestionnaire de portefeuille chez Bankers Trust Australia. Drummond est titulaire d’un baccalauréat de l’Université Western Ontario et de deux maîtrises de l’Université Monash de Melbourne, en Australie. Il a également obtenu le titre d’analyste financier agréé.
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