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22 janvier 2024

Inquiéte est la tête qui porte une couronne

Les opinions exprimées dans ce blogue sont uniquement celles de l’auteur. La présente information n’a pas pour objet de fournir des conseils juridiques, comptables, fiscaux ou d’investissement et ne doit pas être utilisée à cette fin.

Les exécuteurs testamentaires canadiens doivent généralement s’attendre à être confrontés à un exercice d’équilibre précaire entre leurs obligations en vertu du droit provincial et leurs responsabilités en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu1 (« LIR ») du gouvernement fédéral, lorsqu’il s’agit d’une dette de créancier non garantie. Une décision récemment rendue par la Cour du Banc du Roi de l’Alberta, Succession Horvath (Re)2 , confère davantage de clarté et incite à la prudence les exécuteurs testamentaires qui gèrent des successions insolvables et la manière dont ils peuvent s’attendre à traiter avec l’ARC.

Le paragraphe 159(3) de la LIR stipule qu’un représentant légal (qui inclut tout exécuteur testamentaire) devient personnellement responsable jusqu’à concurrence de la valeur des biens du contribuable décédé qui sont distribués s’il y a des impôts à payer. Cette responsabilité personnelle peut s’étendre à la fois aux impôts impayés et aux intérêts à payer. Cependant, une « exemption » peut être accordée à un exécuteur testamentaire pour des « frais funéraires, testamentaires et administratifs raisonnables3. Cette exemption est conforme aux décisions des tribunaux de l’Alberta, qui ont statué que même dans le cas d’une succession insolvable, les frais funéraires, testamentaires et d’administration sont payés en priorité par rapport aux autres créances et legs4. »

À l’inverse, la plupart des provinces canadiennes contiennent des dispositions dans leurs lois sur l’administration successorale concernant le classement des dettes et des débiteurs. En Alberta, cette disposition est prévue au paragraphe 27(1) de la Loi sur l’administration des successions5 (« LAS »), qui stipule que tous les créanciers non garantis ont le même rang et doivent être payés au prorata.

Le concept de « prérogative de la Couronne » a été reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire La Reine c. La Banque de Nouvelle-Écosse (1885), 1885 CanLII 44 (SCC), 11 SCR 1, lorsqu’il a été déterminé que la Couronne a le droit d’être payée intégralement, en priorité sur les autres créanciers d’un rang similaire. Ce droit créé par la common law a été repris dans de nombreuses décisions judiciaires rendues dans plusieurs tribunaux canadiens depuis 18856.

Dans l’affaire Horvath, le représentant personnel de la succession a recueilli 63 755,98 dollars en actifs successoraux par rapport à 132 986,72 dollars en dettes non garanties7. La succession étant insolvable, les exécuteurs testamentaires ont demandé au tribunal d’effectuer une reddition de comptes en bonne et due forme afin de procéder à une distribution au prorata.

Le solde des fonds disponibles pour la distribution aux créanciers était d’environ 38 043,20 $ après paiement des frais juridiques, des frais d’administration, de la rémunération de l’exécuteur testamentaire et de la retenue pour dépenses raisonnables. Bien que l’ARC ne se soit pas opposée à ces retenues, la façon dont le montant restant devait être distribué est devenue la source du litige8.

La personne décédée devait à l’ARC 11 151,36 dollars d’impôts et de remboursement de COVID-19 au moment de son décès. La succession a tenté de rembourser 3 190,05 $ de ce montant, puisque la dette auprès de l’ARC représentait environ 8% de la dette non garantie de la succession9.

Les arguments de l’ARC peuvent être résumés dans les trois énoncés suivants :

Tout d’abord, l’ARC a soutenu que l’article 159 de la LIR « créait une priorité de paiement pour la Couronne parce qu’un certificat de décharge n’est accordé que si les soldes impayés dus à l’ARC ont été payés ou garantis et qu’il n’y a pas d’autres demandes de redressement, d’oppositions, d’allègements pour les contribuables ou d’appels demandés en suspens10. »

Deuxièmement, l’ARC a soutenu qu’en vertu de la Loi sur l’administration des successions, « l’obligation de payer les impôts en souffrance constitue pour le représentant personnel une obligation distincte de celle de payer d’autres types de créances, et que, peu importe le rang de ladite obligation dans la liste des créances, il est évident que le paiement des impôts est une obligation et qu’il n’est pas sur le même pied que le paiement des autres créances et dépenses de la succession11. »

Troisièmement, l’ARC a soutenu que la dette contractée auprès de la Couronne « a priorité sur celles des autres créanciers de même rang en vertu de la prérogative conférée par la common law à la Couronne d’être payée en premier parmi les créanciers de même rang12. »

La Cour a statué, après examen des documents, que « la prérogative de la Couronne d’être payée en premier parmi des créanciers de même rang est en vigueur en Alberta et qu’il n’y a rien dans la Loi sur l’administration des successions qui limite la prérogative de la Couronne. Cette constatation concorde avec les conclusions tirées dans des cas similaires à travers le Canada13. » En conséquence, l’ARC s’est vu attribuer le montant qu’elle demandait, les autres créanciers se partageant le montant net restant dans la succession.

Bien qu’il n’appartienne certainement pas à l’auteur de se lancer dans des spéculations sur les raisons pour lesquelles l’ARC a engagé des ressources juridiques pour contester un remboursement de 7 961,31 dollars afin d’exercer la prérogative de la Couronne dans la jurisprudence, cette affaire sert de mise en garde selon laquelle l’ARC peut faire valoir la prérogative de la Couronne sur les créanciers non garantis et n’hésitera pas à le faire, peu importe, le montant en question. Les exécuteurs testamentaires doivent faire preuve d’une extrême prudence lorsqu’ils acceptent ces nominations, évaluer les dettes et les impôts, et effectuer des paiements lorsque l’ARC pourrait être un facteur.

 

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1 L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)
2 2023 ABKB 643 (« Horvath »)
3 Voir pour des exemples, CRA Views, Conference, 2011-0429101C6 et CRA Views 2010-0390311E5
4 Succession Boje, 2009 ABQB 749 au paragraphe 44
5 SA 2014, c E-12.5
6 Voir, par exemple, Liberty Mortgage Services Ltd c. Canada (Ministère du Revenu national), 2012 ABCA 225; Succession Evans (Re), 2018 NSSC 68 (CanLII); Household Realty Corporation Ltd. et autre c. Procureur général du Canada, 1979 CanLII 179 (SCC), [1980] 1 RCS 423, et autres.
7 Horvath aux paragraphes 9 à 11
8 Horvath au paragraphe 10
9 Horvath aux paragraphes 9 à 11
10 Horvath au paragraphe 3
11 Ibidem
12 Horvath au paragraphe 4
13 Horvath au paragraphe 29

À propos de l’auteur

Matt Trotta


Matt Trotta, JD (É.-U.), LL.B., TEP

Vice-président, Planification fiscale, de la retraite et successorale
Gestion mondiale d’actifs CI

Matt est un fiscaliste et un avocat en planification successorale appelé au barreau de l’Alberta en 2013. Il se spécialise dans la planification fiscale et successorale post-mortem, ainsi que dans la planification fiscale pour les fiducies et les entreprises gérées par les propriétaires. Matt est membre de la Society of Trust and Estate Practitioners (STEP), détenant le titre de TEP, a terminé les niveaux 1 à 3 du programme fiscal approfondi de CPA Canada et est membre de la Fondation canadienne de fiscalité (FCF). Avant de se joindre à CI, Matt a travaillé dans les groupes fiscaux et successoraux dans des cabinets d’avocats régionaux et nationaux, ainsi que dans un cabinet-boutique de conseil fiscal. Matt a également acquis une expérience juridique interne dans l’une des plus grandes sociétés de fiducie du Canada, où il a fourni des conseils juridiques internes et des conseils en matière de planification successorale et fiduciaire aux clients, aux conseillers et aux dirigeants de la fiducie.

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